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Artisan-commerçant, artisan-vigneron, artisan-boulanger, artisan-cordonnier, artisan-vannier, artisan-horloger, artisan-tonnelier, artisan-carreleur, artisan-coiffeur ou encore artisan-maréchal-ferrant : je pressens que nous nous dirigeons à cent à l’heure vers une énième catégorie que seront les artisans-rédacteurs.

À l’ère où l’intelligence artificielle s’insère brusquement dans l’univers jusqu’ici paisible de l’écriture, il va devenir essentiel pour nous de revendiquer un savoir-écrire authentique. Cette réflexion n’est pas un pamphlet contre l’ia, loin de moi cette idée-là. Diaboliser une technologie dans le vent qui, lorsqu’elle est utilisée modérément peut enrichir notre travail de rédacteur, d’écrivain ou d’écrivant, ne serait ni honnête ni cohérent. Ma démarche est plutôt de réfléchir à une solution pour distinguer un texte écrit sans aucune assistance, artisanalement, d’un article écrit totalement ou partiellement à l’aide de l’intelligence artificielle. L’idée d’un label pourrait ainsi valoriser les rédacteurs qui revendiquent une écriture autonome, une envie incorruptible de partager à bras le corps leurs pensées qui viennent du cœur et non du core*. Cela permettrait également à des maisons d’édition ou clients d’avoir l’assurance d’investir dans un texte artisanalement écrit, ce qui pourrait bien devenir demain une denrée aussi rare que convoitée…

Pourquoi ne pas imaginer alors dans un futur proche de nouveaux labels de type : « Artisan-Rédacteur », « Texte fait-main » ou pourquoi pas « Co-écrit avec l’ia ». Ces signatures pourraient rappeler l’importance de protéger l’écriture humaine dans un monde où elle semble menacée par une aide algorithmique qui n’est déjà plus une simple assistance réconfortante ou bienveillante, mais une véritable sous-traitance à des fins de rentabilité immédiate.

Il m’est plaisant de croire encore que toute la subtilité et la profondeur d’une émotion ou d’une pensée pourront peut-être être copiées, mais jamais égalées. Je suis peut-être trop naïf sur ce coup-là, mais il est vrai que l’ia ne prendra de toute façon jamais parti, ça c’est un fait. ChatGpt, avoue d’ailleurs lui-même n’avoir guère de chance d’égaler un jour l’écriture humaine, mais bon, c’est peut-être de la fausse modestie…

En s’habituant à déléguer 100% d’une tâche à un programme fondé sur le Machine Learning**, les étudiants, les entreprises, le simple particulier et l’humanité toute entière risquent de perdre un patrimoine vieux de plus 5000 ans. Derrière ce potentiel inouï qu’offre cette technologie, il y a un risque certain : celui de laisser notre pensée se faire limoger par un langage codé, de sacrifier notre créativité sur l’autel de la rentabilité.

Certes, ChatGpt et ses semblables ne se contentent pas d’écrire pour nous. Ils recherchent des contenus, organisent des idées, synthétisent, introduisent, développent, concluent et peuvent même lancer des pistes pour de nouveaux débats. Il est indéniable que ces services sont précieux, mais à quel prix ? Si nous nous contentons demain de définir des prompts*** et de copier-coller des textes générés en quelques secondes, que restera-t-il de notre implication dans le processus créatif ?

Bien sûr, libre à nous rédacteurs et écrivains de continuer de rédiger à la sueur de notre main, mais si le travail qui nous a demandé 3h d’effort est mis en concurrence avec une copie rédigée en 27 secondes, comment continuerons-nous à vivre de notre passion et de nos compétences ? 

Le plaisir de réfléchir, de choisir le mot juste et d’y passer du temps, de tisser un fil rouge dans un article ou un roman, de construire une intrigue bien ficelée, de jouer avec les rimes et les sonorités semblent peu à peu s’éclipser, car une autre forme d’écriture est désormais offerte sur un plateau, en un « cliquement » de doigt. Dans ce monde pressé, les formes de créations traditionnelles trouvent de moins en moins leur place, jugées trop lentes, imparfaites et surtout pas assez compétitives.

Cependant, la perspective qu’une prestation d’Artisan-Rédacteur devienne demain un véritable luxe n’est pas exclue, car le style ChatGpt se reconnaît de loin, ce qui donne des textes écrit d’une même plume, et c’est le cas, même si on lui demande d’écrire « à la façon de… ». ChatGpt deviendra peut-être demain le supermarché de l’écriture, le prêt-à-porter rédactionnel de certains médias, tandis que l’écriture humaine serait réservée à une cible bien plus exigeante et exclusive. Alors, que pensez-vous de cette idée de label ?

* « Core » signifie « noyau » ou « cœur », et désigne en informatique l’ensemble des structures constituant un seul microprocesseur.

** « Machine learning » ou « apprentissage automatique » est une branche de l’intelligence artificielle au cœur de la data science

*** « Un prompt » est une instruction fournie à un système d’IA pour générer des réponses ou des créations en texte, image, ou autre forme de média.