La chapelle des os
Posted On 17 janvier 2017
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« Par le pouvoir du crâne ancêstraaaaal ! »
Je me suis dit naïvement que la formule magique du Prince Adam – Alias Musclor – pouvait fonctionner ici (sinon, où pourrait-elle bien fonctionner ?). Me voici face à face avec la célèbre Chapelle des os attenante à l’Église São Francisco, dans ce charmant petit village médiéval d’Évora situé au centre du Portugal, au cœur de la région de l’Alentejo. Son histoire est des plus étonnantes et il me tarde d’en comprendre le sens. Rentrez avec moi dans la La chapelle des os…
M
essage de bienvenue qui pourrait refroidir un esquimau !
Je tends courageusement un prospectus touristique enroulé et reconverti pour l’occasion en lance de papier pour le brandir comme une arme blanche vers ce message de bienvenue macabre et suspendu. Je vous laisse en juger par ces mots : « Nós ossos que aqui estamos pelos vossos esperamos », « Nous, les os ici présents, attendons que les vôtres nous rejoignent ». Chez nous, en France, nous sommes plutôt adeptes du paillasson bienveillant, festif ou marrant de type : « Bienvenue chez vous », « tu es mon invité », « Chat s’en va et Chat revient », » Chalut » ou encore Bonjour dans toutes les langues. Pas grave, il me faut plus d’un paillasson macabre collé au plafond pour me faire rebrousser chemin si vite. Alors ? Intentions diaboliques ou bienveillantes ?
Une visite qui fait froid dans le dos, même de face !
Bien sûr, mon stratagème musclé à deux sous ne fonctionne pas et rien ne se passe et mon corps ne se métamorphose pas en Musclor, mince alors. C’est donc en parfait mortel que je dois affronter le diabolique sorcier Skeletor qui, j’imagine, trône ici en Maître de l’univers depuis longtemps. Je franchis le cap psychologique de ce message intimidant et morbide, puis pénètre dans la salle qui va – je l’espère – me permettre de désosser et de décrypter l’énigme qui se cache derrière cette crypte, car il y a un os c’est sûr. Allez, suivez-moi, je rentre dans l’antre…
Crâne pas Marc, reste vigilant, au cas où…

Mais ma vision semble en vouloir bien plus et mes yeux s’appliquent soudain, comme attirés par une force obscure, à faire une mise au point. C’est alors que les vrais murs se dévoilent à moi comme une vague d’os qui éclabousse ma cornée et inonde ma pensée en une seconde. Crânes, fémurs, humérus, cubitus, radius, tibias, c’est tout un cumulonimbus d’ossements qui recouvre le ciel de la Capela dos ossos. Un Tsunami ennemi qui s’apprête à se jeter sur moi ! Skeletor approche, il est derrière tout ça, je suis sur ses terres après tout. Ma vie risque de s’éteindre dans quelques secondes et mes os semblent déjà chercher leur futur emplacement. Bouhhhh 🙁
Une leçon de vie et un os à ronger pour relativiser

Mais pour quelle raison de gentils moines ont-ils succombé à la tentation de cette mode sombre, poussée à l’extrême d’un Home Stanging gothique ?
Ni fous, ni nécrophiles, ni membres de la fondation Skeletor and Co, ces moines avaient bien au contraire l’intention de nous délivrer un message Zen et bienveillant : un jour ou l’autre (et j’espère que ça sera plutôt demain qu’aujourd’hui), nous serons tous, métaphoriquement parlant, réunis ici, dans ce lieu et dans cet état. Un message bienveillant transmis par un moine franciscain qui a construit cette chapelle au XVIe siècle et qui voulait mener ses frères vers la contemplation en démontrant le caractère éphémère et transitoire de la vie. Objectif atteint, message transmis !
Je reste figé au beau milieu de la salle quelques instants. Seuls les monuments historiques et lieux de cultes ont en effet ce pouvoir magique de nous replonger vers nous-même. Je m’imprègne en silence de ces chuchotements mystérieux et paranormaux qui semblent émaner des murs et venir me transmettre à l’oreille la plus précieuse recette du bonheur : profitons d’être vivants !
CQFD : Ce Qu’il Fallait Désosser…

Nous devrions accorder plus d’importance au passé, aux souvenirs et respecter nos ancêtres qui eux, ont déjà rejoint le Royaume des os. Blancs, noirs, jaunes, couleur café ou couleur miel, nos os ont tous la même teinte une fois dénudés. Qu’ils aient vécu dans la rue ou dans les plus beaux quartiers, qu’ils sortent d’un CAP ou de Science-Po, qu’ils soient habillés par un grand couturier ou par une sous-marque de supermarché.
Nous terminerons tous égaux et alignés aussi parfaitement qu’une lignée d’orangers ou comme ceux-là dans 200 mètres carrés d’os rangés. Merci à ces moines pour cette piqûre de rappel qui finalement me donne bien plus envie de croquer la vie que d’aller signer un testament ou serrer la main d’un croque-monsieur… enfin, disons un croque-mort. La démonstration par A + B est éloquente, pertinente et efficace.
Cet ancien poème, repris dans son style et visiblement écrit par les moines de la chapelle, révèle l’essence de ce travail de moines à la vision protectrice, bien que cavalière.
Le sens caché de la capela dos ossos
« Où vas tu voyageur pressé ?
Arrête, ne marche plus,
Car tu n’as pas sûrement si important que cela.
Rappelle-toi de ceux qui sont déjà morts,
Réfléchis que tu seras semblable à la fin,
Que pour méditer il nous suffit
Que morts et vivants y aient pensé aussi.
Réfléchis, car frappé de ce sort
Parmi toutes les négociations du monde,
Si peu tu penses à celle de la mort.
Cependant si tu lèves les yeux ici,
Arrête-toi, car devant un affaire si pressant
Plus tu t’arrêtes, plus tu iras loin en avant »
Auteur inconnu
Ce qui me rassure, c’est que l’esprit d’accueil si chaleureux et légendaire des Portugais que je m’évertue à revendiquer ne s’est pas évaporé à Évora. Pour apporter une dimension moraliste à cette visite, j’ajouterais qu’il est étonnant de constater combien il faut parfois se rendre dans des endroits insolites et presque invisibles tant ils sont discrets, pour en ressortir plus grand, plus vivant et plus avisé sur notre situation de simple locataire de cette terre. Une belle leçon de vie que la notion de mort m’aura donné, comme quoi un bon bourrage de crânes peut suffire pour nous marquer à vie.